A Sainte-Marie-D’Alloix, en bordure de la D1090 en direction de Chambéry, tel un mégot jeté d’une fenêtre de voiture, gît un vieil hangar, laid comme un pou. Tellement laid qu’il dérange. Mais comme dans chaque crapaud dort un prince, vous le savez bien !, que peut-il bien cacher ? Quels sont ses petits trésors ? Je vous propose d’en faire le tour puis d’y entrer pour le découvrir et comprendre.
Déjà avant même de rentrer, se dresse une construction aux couleurs fades sans caractère faite de moellons méchamment assemblés et mal vieillis surmontés d’un pan en tôle ondulée. Une allure avachie, peu avenante, un peu « zombienne », avec une toiture en fibrociment certainement bourrée d’amiante servant de couvre-chef à ce Gollum de l’architecture.
Derrière, la poupe de ce vaisseau disgracieux est affublée d’un long conduit de cheminé accentuant ce rejet viscéral. La proue, tout aussi mal aguichée, n’a pas pour rôle d’accueillir, bien au contraire, mais d’éloigner les curieux voire de susciter des histoires hitchcockiennes. Une grande cour mal goudronnée prévient du risque encouru à s’aventurer plus loin. Néanmoins, osons !
L’objectif était clair, au diable l’esthétique, place au pratique, au rentable.
Appareils photographiques en main, pénétrons ces entrailles. Inspirons, regardons les yeux grands ouverts, les narines dilatées et éloignons-nous de nos habitudes, soyons prêts pour la rencontre et vivons-la pleinement. Bigre !
Pas simple, je dirai même plus, pas simple du tout ! Des néons géants suspendus la gueule ouverte tournée vers le vide, éclaboussent d’une lumière blanche et crue un immense sol lisse et gris sale. Des vitres nues en file indienne dessinent des rectangles lumineux et tentent ainsi d’apporter un peu de chaleur. Parfois habillées d’une tenture verte, ces fenêtres projettent une ambiance fantomatique particulière. Des murs inesthétiques servent de supports au mobilier électrique désuet et aux multitudes de toiles d’araignée chargées de poussière mais heureuses.
Quelle surprise de voir tout un univers Star Wars s’exhibé en ce lieu terrestre : Un chasseur X-WING STAR WARS, un Stormtrooper, soldat du Premier Ordre la gueule mauvaise avec son casque électronique et même des maisons Tatooine.
Tout aussi étrange encore, dans un petit débarras coincé dans un angle bien éclairé par le jour, un papillon morpho prisonnier à vie de son cercueil vitré apporte une touche bleue exotique, de douceur et d’élégance dans cet hangar pauvrement vêtu d’un uniforme sans âme. Toujours en ce lieu, divers objets hétéroclites sont disposés les uns à côté des autres de manière aléatoire créant ainsi des scénarii loufoques et rigolos comme ce panneau en bois montrant des personnages pressés au côté d’une horloge leur signifiant un retard, ou bien ces dessins osés et humoristiques plus ou moins cachés à d’éventuels regards chastes.
Derrière, dans un recoin sombre, espace dédié aux services techniques de la mairie, se bousculent des familles d’outils de voierie et d’accessoires. Il n’existe pas d’ordre particulier, chaque élément s’installe comme bon lui semble. Néanmoins la force communautaire l’emporte, les outils d’un côté, les panneaux et assimilés de l’autre, avec cependant des intrus différents, souvenirs d’un passé, qui par-ci, par-là, s’effacent dans l’ombre la plus noire afin d’échapper à la déchetterie, issue fatale pour ceux qui ne servent plus dans notre mode égoïste.
Dans un autre dégagement de type atelier, sont alignés des outils vieillissants. Les marteaux aux têtes difformes prêtes à frapper, prédateurs par nature, se prélassent dans une lumière blafarde provenant d’une lucarne mal en point et surveillent d’un œil d’animal fort un vieux troupeau de clous à tête plate fatigués et se chevauchant en un immense mikado. L’ambiance est agressive, mes narines frémissent, flotte une exhalaison de graisse, de rouille, de saleté et de peur.
Un escalier en bois brut quasiment vertical propose des marches étriquées pour nous mener dans une garçonnière. Et surprise ! Des boites géantes de macédoine de légumes aux couleurs saturées nous accueillent debout sans gêne, sans vergogne, offertes fermement à l’ouvre-boite. La visite est rapide, la redescente prudente.
Au-dessous de cette oasis masculine, s’étalent des sanitaires glauques, le laid est de rigueur.
C’est froid. C’est triste. Je sors sans me retourner.
Ce bâti va bientôt se transformer comme tout crapaud pour devenir un tiers-lieu, un centre d’activités culturelles et de rencontres. Il s’agit d’une renaissance, le Prince deviendra L’Av’Hangard’.