Ce n’est pas simple. En fait, comment procéder pour exprimer par la photographie les émotions ressenties au fil du voyage ? Comment saisir ce sentiment d’abandon et vous le révéler ? Comment vous faire vivre cette expédition comme si vous y étiez ?
Regardez ces quelques photographies et imaginez. Pour cela, suivez-moi dans les dédales de cet hôpital, plongez-vous dans cette atmosphère si particulière et écoutez cet espace rendre l’âme en silence.
De l’extérieur, on ne le remarque pas vraiment, le drame se passe en dedans : les équipements, encore bien présents mais comme figés dans l’action, s’ennuient de tristesse et attendent leur sort ; les ustensiles délaissés et inertes se savent condamnés ; traînent par-ci, par-là, quelques effets abandonnés du personnel soignant ; les orgueilleuses ampoules blanches suspendues ne projettent plus que des ombres blafardes sur le flashy des peintures murales des années 70, le jaune, le vert et le bleu ; les lits évidés de leurs occupants sont stockés en file indienne dans ces longs couloirs infinis tels des véhicules en attente de franchir la frontière d’un pays paranoïaque ; la connectique se déconnecte de la réalité ; les rogatons de soins échappés des sacs poubelles crevés nourrissent des rats affamés et revanchards ; les odeurs dérangeantes et fortes, de médicament, de désinfectant ou d’autres choses, s’en donnent à cœur joie, les odeurs sont piquantes, il ne faut pas traîner, vite changer d’endroit ; le mobilier utile est étiqueté pour une nouvelle destination ; le linge maculé, repoussé et tassé le long des murs finit de crever lentement ; les pots de plantes artificielles aux feuilles poussiéreuses, vert plastique, patientent encore en salle d’attente, ces salles d’attente plus tristes que de coutume qui n’attendent plus personne ; les chambres dépouillées, dénudées hurlent de solitude, les plus chanceuses se retrouvent avec pour seul compagnon un vieux lit écaillé, grincheux, grabataire avec lequel les conversations sont douloureuses ; les murs abimés par la dureté de la maladie, verticalités devenues inutiles, chuchotent des histoires à dormir debout ; les affiches désuètes, les consignes de précautions aujourd’hui sans intérêt, les graffitis mignons, paroles d’enfants, les messages d’adieux jetés comme ça, sur les murs avec nostalgie et humour, nous montrent ô combien l’endroit fut aussi une oasis d’espérance.
La vie accélère le temps, d’autant plus dans un hôpital où l’urgence est un quotidien, l’urgence de repousser la mort et son rire sardonique. Cette mort qui ne désarme jamais, qui attend son heure patiemment en rôdant dans les couloirs à l’affût d’une vie fragilisée. Désormais, ce combat n’est plus et plonge l’hôpital dans un silence définitif. Un silence dont il se vêt pour pleurer et libérer sa tristesse longtemps proscrite. Pourtant, combien de combats gagnés, combien de vies préservées, combien d’exploits réalisés dans cet hôpital, combien de matchs remportés, à coups de bistouri, de transfusions, de diagnostics, de patience et d’intelligence, de bonté et d’empathie…