Commençons par une courte virée socio-architecturale. Pourquoi ? Ce squat à rénover fait partie intégrante d’une cité d’une soixantaine de maisons contenant 300 logements destinées à des familles d’ouvriers avec en son centre la phalanstère de l’usine La Viscamine chargée d’héberger 200 célibataires ouvriers ou ouvrières. Cet ensemble architectural avec l’usine s’étale sur une quarantaine d’hectares et offre une cohérence architecturale. Le mot « Phalanstère » a été créé par Charles Fourier (1772-1837) à partir du radical phalan(ge) et du suffixe emprunté à (mona)stère. Père de l’attraction passionnée, le philosophe du mouvement socialiste-utopiste imagina ainsi une architecture à destination d’une communauté dont les membres se choisissent librement, un dispositif coopératif contenant tous les éléments nécessaires à la vie collective.
Au début du XXème siècle, Joseph Carre entrepreneur industriel dirige une papèterie à Pontcharra. Pour poursuivre le développement de ses activités industrielles, il rachète un brevet permettant de produire de la soie industrielle, la viscose, et crée alors la société La Viscamine en 1928. Ca sera pour lui l’occasion d’appliquer les théories sociales de Charles Fourier et de bâtir le complexe de la Viscamine. Il s’agira d’appliquer en quelque sorte une politique industrielle paternaliste et humaniste en appliquant les idées des pré-urbanistes de la fin du 19ème siècle.
Cependant en 1931, l’entreprise La Viscamine ferme définitivement ses portes. le complexe à peine né sera abandonné à ses occupants. La phalanstère passera entre plusieurs mains pour devenir en 1962 un lycée qui évoluera dans sa fonction pour devenir définitivement en 1984 le Lycée Pierre du Terrail.
Mais qu’en est-il des 60 maisons bordant la phalanstère ? Construites en divers matériaux, elles présentent une architecture de type “chalet” avec des façades d’une grande sobriété sans doute pour des raisons d’économie, seul un bardage du pignon au niveau du dernier étage ou du grenier apporte un peu de style.
Voici l’histoire d’un fait divers en lien avec l’une de ces maisons transformée en squat.
Parti on ne sait où ! jamais revenu ! Pourtant il a été recherché longtemps mais sans succès, puis sans espoir. C’est quand même dingue de quitter son chez soi comme ça, de fermer la porte derrière soi pour ne plus revenir. Quelle folie ? Acte délibéré ou fait divers non élucidé ? Déjà d’un certain âge, ce Monsieur, en aurait-il eu assez de la vie, de sa vie, au point d’y mettre fin ? Les affres de la solitude, un passé douloureux, un avenir sans horizon, autant de forces nécessaires pour prendre cette décision difficile et fatale. Mais ce qui est étrange dans cette affaire, c’est l’absence de corps. Rien ! Pas l’ombre d’une quelconque trace ! C’est une disparition totale, la vraie. Il s’est anéanti. Ce scénario a forcément été réfléchi tel un tour de prestidigitation ; la personne était là et puis plus rien ! Le vide. Le néant. La non existence comme une suite logique. Un génial tour de passe-passe, mais cette fois-ci, il n’y a pas tromperie, le Monsieur s’est escamoté définitivement tout seul. Que s’est-il donc passé ? On ne sait toujours pas. Le secret demeurera éternel.
Pourtant la maison est bien réelle, jumelée avec sa voisine, petit logement parmi bien d’autres qui autrefois étaient destinés aux familles d’ouvriers de la société Viscamine*. Vide de vie, elle fut rapidement squattée et malmenée, aujourd’hui rachetée pour une nouvelle aventure. Les photographies qui vont suivre reflètent l’état dans lequel elle a été laissée une fois les squatteurs partis. Quand on entre par une verrière torturée, ce n’est que désordre et encombrement. Très vite la poussière me pique le nez. Je m’habitue. Puis les odeurs me pénètrent violemment, des odeurs volontaires et tenaces. Le moisi des murs plâtrés et dévêtus est le premier assaillant. Sournois de caractère, il s’empare de mes narines pour s’y installer tel un touriste en villégiature dans un coin sympa. Provenant d’un système de chauffage au charbon mal ramoné, la suie pointe alors son museau noir pour nidifier au fond de ma gorge. L’envie de cracher me prend, mais je me retiens et ravale le tout. J’imagine un glaviot certainement riche en silice. Mais quel que soit la pièce visitée, c’est le renfermé qui domine. Maître des lieux, omniprésent, omnipotent, il est le chef d’orchestre de tout ce fatras, un ensemble chaotique et désespéré. Sa domination créée une atmosphère prisée chez les mites qui se régalent de vêtements abandonnés et atteints de flaccidité. Le renfermé est dépressif, il n’est que prison et solitude. Il consume les énergies vitales. Tristesse. Abandonnée puis violée, la demeure est comme dépossédée de son âme. Cette ambiance oppressante laisse imaginer une certaine détresse. Maintenant, je me tais. Que votre curiosité vous mène visiter la Maison du disparu. Ouvrez bien vos yeux et vos narines, prenez le temps de lire et de sentir, vous discernerez alors des détails d’une époque passée, remplie de souvenirs pour certains, appréhenderez l’espace vie de notre disparu atteint du syndrome de Diogène. Il gardait tout, le bougre ! Impossible de descendre à la cave car l’escalier lui-même encombré d’objets hétéroclites.